Voici la première saison du RMNA – Raconte-moi nos ancêtres. Le concept de ce nouveau rendez-vous d’écriture est de publier une saga en quatre articles, au rythme d’un par semaine. Cette année, le thème est l’année 1918, afin de commémorer le centenaire de la Première Guerre. Pour plus de détails, retrouvez le RMNA 2018 ici.
Episode 1 – « La lettre »
Trouville-Alliquerville, juin 1918.
Juliette s’affairait dans la petite ferme familiale. Le temps était doux et les journées rythmées par la lecture du Petit Havre, qu’elle lisait avec un jour de retard, les discussions avec les voisins et le travail à la ferme. Juliette avait deux enfants, Germaine Joséphine Camille, onze ans et Henri Julien Léopold, neuf ans. Malgré leur jeune âge, l’insouciance les avait déjà quittés et ils grandissaient dans un monde d’adultes, emprunt de gravité et de responsabilités.
Début juin, une lettre officielle fut apportée à Juliette. Un voisin, dont le nom n’avait pas d’importance, s’approcha timidement de Juliette qui étendait son linge.
– Madame COLLEY ? J’ai une lettre pour vous.
Juliette se retourna, salua son voisin d’un signe de tête et prit l’enveloppe. Son visage se figea quand elle vit les tampons officiels orner la missive. Son cœur s’accéléra et elle ouvrit le courrier. Sans un mot et sans sourciller, Juliette lut la lettre. Son mari, Henri Isidore COLLEY, avait été porté disparu le 30 mai à Jaulgonne dans l’Aisne. Dans sa tête se bousculèrent une foule de pensées et de sentiments. Le 30 mai, cette date résonna dans son esprit, c’était un an très exactement après le décès de son petit frère Léopold au front.
Juliette chercha quels avaient été leurs derniers mots, elle tenta de se rappeler des derniers instants passés avec son mari. Elle se projeta tout à coup dans l’avenir, seule, avec ses enfants à nourrir et la ferme à tenir. Elle sentit les larmes monter, mais s’essuya aussitôt le visage du revers de sa manche. Juliette regarda ses enfants qui s’occupaient des poules. Comment allaient-ils grandir sans leur père ? Comment pourrait-elle subvenir à leurs besoins ? Leur quotidien était tellement difficile depuis le départ d’Henri.
Juliette les appela pour leur dire qu’elle rentrait à l’intérieur de la maison, puis elle se précipita vers la pile de journaux du Petit Havre qu’elle conservait depuis qu’Henri était au front. Elle aurait pu s’en servir pour le poêle ou les mettre sous les matelas, mais elle avait préféré les garder. Elle repris l’édition du 1er juin. Les troupes françaises combattaient le long de la Marne. Il y était fait mention de Jaulgonne dans les communiqués officiels.
Malheureusement, pas de précision sur les morts ou les prisonniers du 2e Régiment d’Infanterie. Comme bien souvent, les journaux se contentaient de dire que les troupes françaises avaient repoussé vaillamment l’ennemi, lui faisant subir de nombreuses pertes. Les français devaient garder le moral, elle le savait, mais elle avait besoin de connaître la vérité.
Malgré tout, on lisait régulièrement des histoires de soldats retrouvés vivants ou faits prisonniers. Il y avait une chance pour qu’Henri soit l’un de ceux-là. Il était travailleur et courageux, il ne fallait pas perdre espoir. Juliette décida d’attendre le souper pour en parler aux enfants. Ils devaient savoir que leur père ne reviendrait peut-être pas. Avant de se coucher, elle pria Dieu de lui donner la force d’affronter cette épreuve.
Les jours qui suivirent furent difficiles pour Juliette. Elle s’efforçait de ne pas montrer sa peine à Germaine et Henri et pour cela, elle redoublait d’efforts dans son travail. Les jours se suivaient et se ressemblaient. L’école, la lecture du journal en famille après le souper et les discussions avec les voisins, dans l’espoir de recevoir une bonne nouvelle.
Les semaines et les mois passèrent, l’été prit fin, marqué par quelques journées très chaudes et un travail ralenti. Les vacances des enfants s’étaient achevées et les questions se bousculaient toujours dans le cœur de Juliette. Un voisin lui apportait l’édition du Journal de Rouen avec plusieurs jours de retard. Elle se concentrait surtout sur les articles qui racontaient les conditions de détention des prisonniers.
Puis fin septembre, une nouvelle lettre arriva. Juliette était terriblement anxieuse et préféra attendre le soir pour l’ouvrir avec ses enfants. La bonne nouvelle tant espérée était là sous ses yeux, Henri était prisonnier en Allemagne. Maintenant, il fallait attendre, l’avenir était toujours incertain, mais elle se permit de croire véritablement à son retour. Apaisée par l’espoir de revoir un jour son mari, Juliette reprit son quotidien, le cœur plus léger.
Merci pour ce très beau texte.
A la lecture, on ressent l’émotion de Juliette, ouvrant la première, puis la deuxième lettre.
Le #RMNA nous permet de donner chair à nos ancêtres et c’est une belle façon de leur rendre hommage.
Merci Sébastien !!
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Terribles combats dans l’Aisne, département dévasté, où Henri est porté disparu. Mais sa Juliette est courageuse, on a l’impression d’être à côté d’elle, tant ce récit est tendrement rédigé.
Merci beaucoup pour ton commentaire !
C’était très émouvant, j’ai eu des frissons à l’ouverture de la lettre ! Bravo !
Merci Pascalina !
Très beau texte. En le lisant, on a l’impression de plonger dans la vie de Juliette. C’est très émouvant. Tu fais joliment revivre tes ancêtres. C’est tellement mieux qu’un alignement de faits et de dates ! Il fallait oser. Tu l’as fait. Bravo !
Merci Nicole pour ton commentaire qui me touche beaucoup !
[…] le premier épisode de ma saga du RMNA 2018. Je vous propose de lire ou relire le 1er épisode ici. Pour plus de détails, retrouvez le RMNA 2018 […]
Comme Juliette est courageuse ! Elle avait raison d’espérer : « Porté disparu » ne veut pas dire décédé, le soldat pouvait être prisonnier, ce qui était moindre mal, même si c’était difficile pour lui. Quelle angoisse pour la famille !
Merci Marie, la réponse sera dans le 4e épisode…