C’est sur une idée lancée par Guillaume CHAIX, du blog Le Grenier de nos Ancêtres, que je publie ce premier « RDV Ancestral ». Guillaume a proposé le hashtag #RDVAncestral sur Twitter. Le principe est de publier chaque mois un récit à l’époque de notre choix. Un rendez-vous original entre littérature et généalogie, avec nos ancêtres.
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Une soupe mijote sur le poêle. Un énorme pain noir est posé au milieu de la table, recouvert d’un torchon. Sur une étagère, un pain de sucre, un sac de sel, des confitures et des compotes en bocaux sont soigneusement alignés. Jean et Marie Roux me regardent, entourés de leurs quatre enfants. Contre le mur est adossé un jeune garçon d’une douzaine d’années. Son identité m’est inconnue et tout le monde semble l’ignorer.
« Qui est-tu ? » pensais-je.
Jean m’explique que leur nouveau logement est bien mieux que l’unique pièce du bâtiment des mécaniciens qu’ils occupaient. Oui je le sais, les Roux sont bien mieux ici. Cent-trente familles vivent dans le bâtiment des mécaniciens, elles sont parfois composées de plus de six personnes, avec pour seule intimité une pièce unique. Les commodités sont situées dans des parties communes mixtes, mal entretenues, très fréquentées, qui incitent à l’immoralité selon les patrons de Schneider. Le bâtiment des mécaniciens était bruyant, Jean éprouvait de la peine à se reposer de ses journées à l’atelier.
La troisième maison de la cité des Pompiers leur offre un confort qu’ils n’avaient jamais connu. Un escalier privatif leur permet d’accéder à leur logement. Chaque maison accueille quatre familles. La cité regroupe quarante familles réparties dans douze maisons.
– Nous l’avons attendue longtemps cette maison, me dit Marie. Je sens l’émotion dans sa voix.
Marie porte dans ses bras Francine, âgée de six mois. La petite dort à point fermés. Les trois garçons entourent cette dyade mère-fille. Le petit Simon, deux ans, tient sa mère par le bras. Un silence plane dans la pièce, un silence que tout le monde semble apprécier. Dehors, le petit jardin privatif offre un clapier à lapins et un potager fraîchement ensemencé. Jean me parle de leurs voisins.
– A côté, il y a les Chopitel, ils sont six. Il y a aussi le couple Bufnoir et les Mille, qui sont cinq. Les garçons travaillent avec nous à l’usine. Le matin on part ensemble, ça permet de causer. Pareil le soir. Enfin, ça dépend des horaires.
Les hommes sont riveurs, chaudronniers, puddleurs et leurs gamins suivent leur chemin. Je regarde l’enfant adossé au mur, il est plus âgé que les trois garçons qui se suivent en âge. Jean quitte la pièce pour se reposer avant de dîner. Marie lit dans mes pensées.
– C’est mon fils, Claudius.
Sa phrase résonne dans ma tête, puis je comprends que Marie a dû avoir ce fils d’une première union. Elle voit que je cherche des explications.
– A l’époque, j’étais mariée avec Jean-Baptiste Cornu, j’avais vingt-trois ans. On habitait rue de Montchanin, au quarante-trois. Claudius est né le quatre août, il y a de ça douze ans. Il avait même pas trois ans que son père est mort, le dix-neuf avril.
Marie marque une pause, je sens que cette discussion la plonge dans son passé. Elle ne doit pas y penser souvent. Elle n’a pas le temps pour ces choses-là.
– Après j’ai rencontré Jean, reprend-elle. On s’est mariés l’année d’après. Il a accepté Claudius comme son fils.
Le mystère se lève sur l’identité du garçon, qui ne cesse de regarder sa mère, comme seul point d’ancrage dans ce foyer.
Il est temps de quitter la famille Roux. Je sors par l’escalier et je me retrouve dans la rue des Pompiers. Je quitte la cité en jetant un dernier coup d’œil derrière moi sur l’alignée de maisons ouvrières. L’année 1876 restera gravée dans leurs souvenirs, après des années de dévouement au paternalisme industriel. La nuit tombe sur Le Creusot, les fenêtres ouvertes laissent s’échapper les rires d’enfants et les odeurs de cuisine, qui réconfortent le cœur des ouvriers rentrant chez eux.
Un premier #RDVAncestral très prometteur, au coeur d’un quartier ouvrier comme il en a existé des milliers. Simple et touchant, bravo Marion ! Intéressant de faire parler ton ancêtre sur le premier enfant qu’elle a eu d’une autre union : la faire parler de cette manière permet de dédramatiser une situation qui, parfois, pouvait être vécue à coup de non-dits et de ressentiment.
J’espère que tu continueras à publier les mois prochains 🙂
Guillaume
Merci Guillaume! J’ai trouvé tellement d’enfants naturels et de familles recomposées, je me suis dit que c’était l’occasion de les mettre en avant et puis l’histoire des milieux ouvriers me tient à coeur ! 🙂
J’espère avoir l’inspiration chaque mois !
Ce récit est magnifique, on imagine sans difficulté cette famille et son environnement. Bravo pour ce premier #RDVAncestral
Merci beaucoup!! 🙂
Une évocation vraiment réussie ! On dirait d’ailleurs le début d’un roman.
Merci Jean-Michel 🙂
Il est bien tourné ce billet qui donne l’occasion à tes ancêtres de t’apprendre une filiation que tu semblais ignorer. Ecoutons-les avec toi.
C’est une filiation découverte au détour d’un recensement 🙂
bonjour,
Merci pour ce moment de « vie d’avant » ! .La cité des pompiers dont vous parlez à été la première des cités construites par les Schneider pour loger ses ouvriers. Il n’en reste aujourd’hui aucune trace sauf une rue qui a gardé le nom de « rue des pompiers »
C’est la ville où j’ai passé mon enfance et mon adolescence. J »en garde, entre autres, le souvenir d’une ville rythmée par la »sirène » qui marquait la pause à midi moins le quart et la fin de la journée à 18h .. C’était alors un déferlement d’ouvriers qui sortaient de » l’usine »
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Bonjour,
Merci à vous de partager vos souvenirs !
Très joli texte Marion. Les images du film défilent sous mes yeux… En noir et blanc bien sûr.
Bonne continuation
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